Demain, un carnet de santé implanté ?

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La mémoire dans la peau

Demain, un carnet de santé implanté ?

Disposer de ses données de santé à tout moment, dans une puce implantée sous la peau, c’est maintenant possible. Est-ce une bonne idée ? Les avantages pourraient finalement être maigres, face aux considérations éthiques et aux risques sur la vie privée.

Le Dossier médical partagé (DMP) est (enfin) en cours de déploiement en cette année 2018. Il permettra la consultation par le patient, comme par ses soignants, des informations médicales : antécédents, traitements passés et en cours, examens biologiques et d’imageries… Un vrai carnet de santé en ligne. Un carnet de santé un peu à la traîne au niveau technologique ? Pourquoi ne pas aller un peu plus loin ? Pourquoi ne pas le garder au chaud, toujours disponible, sous la peau ?

Multipass

La technologie RFID est au point. Utilisée dans les cartes de transport, les badges d’accès, les antivols ou même dans les téléphones et les cartes bancaires pour le paiement sans contact, elle pourrait tout à fait permettre de stocker des informations médicales sur une puce de la taille d’un grain de riz, implantée sous la peau. Que les informations soient disponibles en lecture seule, ou qu’elles puissent être mises à jour.

Et c’est réellement faisable. Certains ont déjà adopté la technologie. Il y a moins d’un an, l’entreprise américaine Three square market a proposé à ses employés de s’implanter une puce, qui leur permet de passer les portes, connecter leur ordinateur ou encore utiliser la photocopieuse et payer leur repas à la cantine, d’un simple scan. Quelques mois plus tôt, la start-up suédoise dans le digital Epicenter avait elle aussi déjà passé le cap.

Un dossier portable

Du côté de l’Ordre des médecins, la question du support du dossier médical électronique a été longuement étudiée. « Nous avons par exemple exploré l’idée de la clé USB », raconte le Dr Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). « Elle a été rejetée, car l’objet est fragile, déjà. Mais aussi car la protection des données ne pouvait pas être assurée : on aurait pu mettre un code, mais le patient aurait dû s’en souvenir, et il aurait terminé sur un bout de papier scotché sur la clé ». Se posaient aussi des problèmes de dissémination virale. « C’était une fausse bonne idée », résume le médecin ordinal.

Qu’en est-il de la puce ? « Pour être honnête avec vous, c’est un dispositif sur lequel nous n’avons pas réfléchi à l’Ordre, et je connais assez mal le sujet », reconnaît Jacques Lucas. Il partage néanmoins quelques réflexions générales d’ordre pratique et éthique qui pourraient s’y appliquer.

Tout d’abord, de manière étonnante, il commence par la fin. « Que se passerait-il au moment du décès ? », s’interroge-t-il. « Nous parlons beaucoup de droit à l’oubli. Que faire du dossier, implanté directement sur le patient ? Doit-on le détruire ? Avec quel consentement ? ». Sauf en cas de crémation, la question du devenir de l’implant se poserait. En suivant l’usage en vigueur, il devrait être transmis aux ayants droit. Quitte à le retirer ? Systématiquement, ou à la demande ? Ces questions devraient être tranchées.

Qui ? Que ? Quoi ?

On revient un peu en arrière : qui pourrait renseigner le dispositif et avoir accès aux données ? Le patient, le médecin, les deux ? Depuis la mise à jour du Code de la santé publique le 4 mars 2002, celui-ci est explicite : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé », comme le dispose l’article L. 1111-2. Entre la loi et la pratique, les deux devraient donc y avoir accès. Pour ce qui est de le renseigner, le médecin pourrait utiliser sa carte CPS, et le patient des codes d’accès personnels.

Ensuite, quelles données peut-elle contenir ? « Il faudrait normer un certain nombre de données sans caractère discriminant », estime Jacques Lucas, et donc réfléchir en fonction du niveau de sécurité que procure l’implant. Plus que pour un dossier en ligne, la sécurité de ces informations interroge, comme le montrent les paiements non consentis par cartes bancaires et smartphones grâce au paiement sans contact. Les informations pourraient alors rapidement se limiter à l’état civil et au groupe sanguin, en cas d’urgence. « Dans ce cas, l’intérêt serait limité puisque, de toute façon, on vérifie le groupe sanguin avant une transfusion », souligne Jacques Lucas.

Autre élément à ne pas négliger : quelle traçabilité des accès ? Le patient peut-il savoir qui a eu accès à ses données de santé ?

Le DMP, voyons !

La plupart de ces interrogations ont émergé lors de la mise en place du DMP. Celui-ci contient par exemple un mode « bris de glace ». En cas d’urgence, « tout professionnel de santé peut consulter le DMP d'un patient dont l'état comporte un risque immédiat pour sa santé, sauf si ce patient lui en a bloqué l'accès de façon spécifique auparavant », précise le Gouvernement sur le site consacré au DMP.

Quelques réflexions essentielles ont accompagné son développement. « Le patient doit consentir à sa création, doit pouvoir le clore à tout moment, doit avoir la possibilité de connaître les personnes qui y ont eu accès », rappelle le VP de l’Ordre. « Il doit aussi prévoir la possibilité que des informations sensibles soient masquées au patient, pour des maladies graves, en attendant la consultation d’annonce ». Ce qui pourrait fonctionner avec un implant.

Alors, puce ou pas puce ? Le service médical rendu semble limité. « Le rapprochement avec les chiens interpelle », ajoute Jacques Lucas. On pourrait aussi penser à un tatouage connecté, ou un QR code sur la peau. Mais l’intérêt pour le grand public et son adhésion sont peut-être limitées, finalement, face à un dossier dans le cloud. « Il est possible d’imprimer un QR code sur les casques de moto, qui relaie les informations essentielles pour une prise en charge urgente. Mais le dispositif n’a pas séduit la population ». Pour ceux qui verraient un intérêt à avoir un QR code tatoué, lié à son dossier médical, il faudra encore prendre en considération les questions esthétiques et les références historiques !

Source:

Jonathan Herchkovitch

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