Le bidonville dont le prince est un enfant

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La terrible odyssée de Zain, enfant des bas fonds de Beyrouth, qui entre en rébellion contre ses parents quand ceux-ci planifient le mariage de sa sœur de 11 ans avec le commerçant qui assure leur survie...Le thème éternel et actuel de l'enfance maltraitée est magistralement renouvelé à travers ce véritable coup de gueule de Nadine Labaki concernant la situation actuelle de son pays.

Le bidonville dont le prince est un enfant

Tout le monde en parle...Palme du coeur, film coup de poing, torrent émotionnel, le Capharnaüm de Nadine Labaki est-il à la hauteur des éloges dont il est d'ores et déjà affublé? Avouons-le sans détour: il l'est. Totalement. C'est même avec un certain étonnement que l'on est instantanément capté par le jeune Zain, acteur non professionnel dont on pourrait dire qu'il joue son propre rôle. Son jeu, son énergie, sa vitalité irradient d'une lumière terrible chaque image du film. Cette histoire, que Nadine Labaki nous raconte et met en scène avec une impressionnante efficacité, incarnée par un seul enfant, rejoint d'emblée les œuvres majeures consacrées à l'enfance maltraitée. On pense bien sûr aux Misérables mais surtout à Oliver Twist. On pressent rapidement que ce Capharnaüm bien libanais, où le monde des adultes est rempli d'ogres et de parents dont la pauvreté conduit à des actes monstrueux, touche à l'universel.

Plus que la narration de cette odyssée dans un Liban à la dérive, le film tire sa force de la dimension quasi-documentaire de la rencontre entre la cinéaste et son jeune acteur. Nous ne sommes pas dans le cinéma, ni dans l'incarnation. Nadine Labaki est derrière la caméra - et à de rares moments devant - mais c'est comme si elle était un personnage à part entière. Comme si, en suivant Zain, elle découvrait avec nous l'horreur de ses conditions de vie. Le film conserve ainsi une fraîcheur dans le regard qui nous permet d'être en empathie totale avec la saine colère qui habite la cinéaste. Tout autant qu'avec Zain et ses compagnons d'infortune. Ceci est d'autant plus impressionnant que cette fraîcheur cohabite avec la sophistication extrême de la réalisation. 

Nadine Labaki utilise le cinéma comme un pouvoir, sans aucun complexe, sans aucune retenue. Cette démarche ajoute au vertige d'une œuvre qui n'en manque pas. Il ne nous viendrait pas à l'idée d'attaquer la cinéaste sur les intentions qui se cachent derrière cet usage direct de l'arme de l'émotion: son travail respire la révolte et l'honnêteté. Et n'a qu'un espoir, voire un but: que la prise de conscience collective, si elle existe encore - c'est l'espoir - sauve tous les Zain de l'anonymat et leur permette d'accéder à une vie décente - c'est le but. La dignité, ils la possèdent déjà. Il suffit de savoir les regarder.
 

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