Dominique Martin, patron de l'ANSM revient sur la tempête Levothyrox, et raconte sa riche carrière

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A la tête de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) depuis trois ans, le Dr Dominique Martin a dû essuyer quelques tempêtes. Dernière en date : l’affaire du Levothyrox. Une aventure de plus pour ce psychiatre, passé de l’humanitaire à la haute fonction publique. Rencontre avec un médecin touche-à-tout.

Dominique Martin, patron de l'ANSM revient sur la tempête Levothyrox, et raconte sa riche carrière

What’s up Doc : Honnêtement, en prenant la tête de l’ANSM, est-ce que vous vous attendiez à vous retrouver sur le devant de la scène comme vous l’avez été pour le Levothyrox ? 

Dominique Martin. Je n’imaginais pas que ce poste était exposé de manière si dure et si fréquente. Mais je n’ignorais pas les risques qui lui étaient propres. Et je connaissais l’historique de la maison, ne serait-ce qu’avec le Mediator !

Justement, comment compareriez-vous ce que vous avez vécu avec le Levothyrox et l’affaire du Mediator ? 

DM. Sur le Mediator, il y a une vraie question de responsabilité qui sera tranchée par les juges. Si le mot « scandale » a un sens, il ne se discute pas pour cette affaire. Pour d’autres situations, il y a une contamination terminologique : certains en viennent à parler de scandale alors qu’il s’agit de situations très différentes. 

Et à part l’affaire du Levothyrox, quels sont les événements qui vous ont marqué médiatiquement ? 

DM. Mon problème n’est pas que les choses soient « marquantes » médiatiquement. Cela étant dit, les dossiers importants sont nombreux, et je citerais probablement en deuxième position la Dépakine. Mais nous n’avons pas que des problèmes de surveillance, nous avons aussi des ruptures en médicaments essentiels, par exemple, qui sont pour nous de réels sujets d’urgence. Il faut cependant reconnaître que l’environnement est un peu compliqué en France en ce qui concerne la sécurité. 

En quoi ? 

DM. Je le constate quand je discute avec mes collègues européens. En France, beaucoup de confrères pratiquent ce que j’appelle la médecine intuitive. Ils ne prennent pas l’autorisation de mise sur le marché, ou les conditions de prescription et de délivrance, qui pourtant sont opposables, comme un cadre à l’intérieur duquel il faut travailler. Cette médecine intuitive a par ailleurs beaucoup d’avantages : une capacité à identifier les problèmes et à s’adapter, par exemple. Mais elle pose aussi des difficultés dans un environnement dangereux comme l’est celui du médicament. 


Quand vous exerciez, étiez-vous un « médecin intuitif » ? 

DM. Oui. Mais bien que j’aie souvent prescrit, mon école était celle de la psychiatrie institutionnelle, plus orientée psychothérapie que biologie. 

Comment en êtes-vous arrivé à cette école de la psychiatrie institutionnelle ? 

DM. J’ai fait médecine pour faire de la psychiatrie, et pour faire de la psychiatrie sociale. J’avais lu un livre dont j’ai oublié le titre, mais qui racontait l’histoire d’un psychiatre qui exerçait en banlieue, dans les HLM… Et je voulais faire comme lui. Puis quand je me suis retrouvé en médecine, j’ai changé d’avis, j’ai voulu faire de la médecine interne. La psychiatrie est revenue sur la fin de mes études, quand j’ai rencontré le Pr Serge Lebovici. Il faisait une psychiatrie « cousue main », j’adorais ça. Mais en parallèle, je continuais à faire de la chirurgie, de l’urgence, notamment pour MSF. Serge m’avait en effet permis de terminer mon internat en pointillés : je partais avec MSF, je revenais, je repartais… C’était une sorte de formation en alternance. 

Ce genre de liberté ne serait plus possible aujourd’hui… Que pensez-vous des cadres plus rigides dans lesquels se trouvent les jeunes médecins d’aujourd’hui ? 

DM. Je crains effectivement que ce soit plus difficile de faire ce que j’ai fait. Sauf à trouver des gens avec un peu d’imagination, comme Serge. Mais on peut toujours s’échapper des cadres, même les plus rigides. Au début des années 80, avant ma sixième année de médecine, par exemple, je suis parti à l’étranger sans rien demander à personne. 

Pour faire quoi ? 

DM. J’ai pris un aller simple pour Ouagadougou, au Burkina Faso (Haute-Volta à l’époque), et j’ai acheté un vélo pour me balader en Afrique de l’Ouest. Puis je me suis rendu en Inde. J’ai fait la route pendant un an, avec trois francs six sous. Je pense qu’on peut encore le faire aujourd’hui, et ce sont des expériences qui forment. Lors de ce voyage, par exemple, j’étais souvent hébergé dans des missions, et je mettais de l’ordre dans les pharmacies des dispensaires. Je faisais déjà le ménage dans les médicaments (rires) !

 « J'ai fait médecine pour faire de la psychiatrie, et pour faire de la psychiatrie sociale » 

Et c’est juste après que vous avez commencé à travailler pour MSF. Quelle a été votre mission la plus dure ? 

DM. La plus violente, celle qui me laisse encore des séquelles aujourd’hui, c’est la Yougoslavie. À Vukovar, en 1991, on sortait des blessés de l’hôpital, et ceux qu’on n’a pas pu sortir ont été massacrés. Le véhicule dans lequel j’étais a sauté sur une mine, j’ai été blessé, on a été retenus… Cette guerre était très particulière, différente de ce que j’avais connu en Afrique. Cela ressemblait à ce qu’on s’imagine de la guerre de 14-18 : il pleuvait tout le temps, les tanks étaient enfoncés dans la boue et tiraient sur la ville… 

Et en plus de votre internat et de vos missions, vous faisiez des études en sciences sociales… 

DM. Oui. Pendant mon internat, j’avais des gardes de 24 heures qui me dégageaient beaucoup de temps. J’ai donc fait un diplôme de statistiques appliquées à la médecine et un DEA en anthropologie et sociologie sociales en parallèle, à l’École normale supérieure et à l’École des hautes études en sciences sociales. J’avais besoin d’ouverture, de faire autre chose. 

« Faire autre chose », c’est une constante chez vous… 

DM. Oui. Pour moi, le métier de médecin est un métier-pivot, autour duquel on peut tourner. On peut le faire, et j’aime beaucoup cela. Mais on peut aussi faire des choses autour, des choses avec. Fondamentalement, c’est un métier de praticien : il faut être capable de mobiliser son intelligence pour agir concrètement. Cela me convient : j’ai hérité du sens pratique de ma famille d’agriculteurs. Faire des choses autour du métier de médecin, pour moi ce n’est pas incohérent, ce n’est pas une rupture.

En faisant l’ENA, en intégrant la haute fonction publique, vous êtes quand même entré dans une autre dimension, non ? 

DM. Je ne fais plus de médecine au sens strict, mais je ne me suis jamais éloigné du champ de la santé, que ce soit ici à l’ANSM, à la branche AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles, NDLR) de l’Assurance Maladie ou à l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, NDLR). 

Vous ne mentionnez pas votre passage au cabinet de Dominique Gillot puis de Bernard Kouchner au ministère de la Santé, entre 1999 et 2002. Vous y avez pourtant travaillé sur une loi qui a fait date : celle sur les droits des malades… Cette loi a-t-elle une signification particulière pour vous ?

DM. C’est effectivement une très belle loi, tournée vers les gens. Et j’y ai travaillé au sein d’une équipe géniale : autour de Kouchner, il y avait des gens comme Didier Tabuteau, Frédéric Tissot… C’était une vraie équipe, avec un esprit start-up. Une remarque en passant : si on prend l’affaire du Levothyrox, on se rend compte qu’il reste des progrès à faire, et que nous ne sommes pas encore dans la bonne application de cette loi. Et je parle de progrès collectifs : l’agence que je dirige doit y prendre sa part, mais aussi les collègues médecins.

Par la suite, vous avez pris la tête de l’Oniam, justement créé par cette loi. Vous êtes fier de ce que fait cette institution ? 

DM. Je ne suis plus de près son actualité, et je sais qu’ils ont eu quelques difficultés récemment avec la Cour des Comptes… Mais on voit bien que l’Oniam est utile : l’indemnisation des victimes du Mediator ou de la Dépakine lui a été confiée, par exemple. Et aujourd’hui, je pense qu’il est entre de bonnes mains.

C’est une institution qui fait assez peur aux médecins… 

DM. Je pense que parfois, ils ne prennent pas suffisamment en compte les questions de sécurité. Les médecins ont un métier à responsabilité, ils prescrivent des médicaments qui sont des produits dangereux, ils font des actes qui sont de très haute technicité et qui présentent des risques. Tout cela a besoin d’être encadré, et il faut pouvoir réparer les éventuels dommages. Mais je dois dire que cela fait l’objet de beaucoup de débats avec mes copains médecins !

Venons-en au poste que vous occupez aujourd’hui. L’ANSM n’est pas connue pour être l’institution la plus sexy qui soit. Il y a comme un décalage avec le côté éclectique de votre parcours… 

DM. C’est ma mission de service public. Je suis fonctionnaire dans le secteur de la santé. Si personne ne prend la direction de l’ANSM parce qu’elle a une réputation un peu austère et parce que c’est un poste exposé et critiqué, il n’y a pas de service public, et il n’y a pas de sécurité du médicament. Quand on fait le métier que je fais et qu’on vous propose de candidater pour un tel poste, on y va.

Et l’exercice médical, dans tout ça ? La dernière fois que vous avez vu un patient en consult’, c’était quand ? 

DM. À part les copains ? Je faisais des gardes de psychiatrie quand j’étais à l’ENA, entre 1995 et 1997. Mais je vis dans un environnement médical : ma femme est médecin, mon fils fait médecine…

La pratique vous manque ? 

DM. Oui et non. Oui, parce que la relation individuelle dans le cadre de la pratique médicale est particulièrement riche. Traiter quelqu’un, le guérir, c’est sans équivalent. Je n’exclus pas d’en refaire. Mais là où je suis, j’ai tout de même le sentiment de participer à la sécurité et à l’efficacité de notre système de soins. Et l’intérêt de ce poste, c’est que l’on y prend des décisions. On n’est pas dans le commentaire.

Vous aimez ça, décider ? 

DM. Oui. J’aime décider pour changer les choses.

BIO express 

1983 • Réalise sa première mission pour MSF au Honduras. 

1984 • Interne des hôpitaux de Paris. 

1991 • Obtient son Certificat d’études spécilalisées (CES) en psychiatrie et devient responsable de programmes à MSF. 

1997 • Sort diplômé de l’ENA (promotion Marc Bloch). 

1999 • Entre au cabinet de Dominique Gillot puis de Bernard Kouchner au ministère de la Santé. 

2002 • Fonde et dirige l’Oniam. 

2011 • Devient directeur de la branche AT-MP de l’Assurance Maladie. 

2014 • Prend la tête de l’ANSM. 

 

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