Les volontaires pour les essais cliniques, bientôt recrutés sur les réseaux sociaux ?

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Francois Eisinger (1), Francois Hirsch (2) et Hervé Chneiweiss (3) de l'Inserm

Les volontaires pour les essais cliniques, bientôt recrutés sur les réseaux sociaux ?

Les outils numériques et les réseaux sociaux du type Facebook ont commencé, discrètement, à changer la manière dont les volontaires sont recrutés pour les essais cliniques.

Jusqu’ici, c’était les médecins, la plupart du temps, qui informaient puis proposaient à leurs patients de participer à une nouvelle étude destinée à faire avancer la recherche. Mais les possibilités se développent, pour les laboratoires pharmaceutiques ou autres organisateurs d’essais cliniques, de contacter directement les patients. Ce changement doit être anticipé, si l’on veut qu’ils se déroulent de manière éthique.

Ces essais permettent de vérifier la sécurité et l’efficacité de nouveaux médicaments ou de modes de traitement inédits. Ils doivent être menés selon une méthode validée et transparente. Certains critères de qualité sont de nature scientifique, par exemple le fait de tirer au sort des patients qui vont recevoir l’un ou l’autre des traitements à comparer. D’autres critères sont d’ordre éthique, comme la manière dont les patients sont informés et recrutés. Le respect de ces derniers doit être assuré par les autorités sanitaires, mais il intéresse aussi la société dans son ensemble.

Le rôle du Comité de protection des personnes

Aujourd’hui, en France, le patient ne peut être inclus dans un essai clinique avant que son déroulement soit validé par une source externe aux organisateurs. Pour cela, les chercheurs soumettent le protocole à un organisme indépendant, le Comité de protection des personnes et en parallèle à l’autorité compétente, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), décisionnaire finale de la conduite de l’essai. Une fois l’accord de l’agence obtenu, les personnes pouvant participer à l’essai sont contactées et reçoivent une information préalable. Ensuite, elles donnent (ou non) leur accord pour y participer.

L’interface entre les participants et le groupe à l’initiative de la recherche, « le promoteur » (l’industrie pharmaceutique, ou les institutions publiques de recherche), est traditionnellement assurée par un médecin clinicien. Cet « investigateur » habituellement soigne, par ailleurs, des personnes atteintes de la maladie qui fait l’objet de la recherche.

Or sous l’effet, notamment, des nouveaux outils numériques, on assiste aujourd’hui à l’émergence d’un parcours beaucoup plus court. Lequel pourrait, à terme, court-circuiter le médecin investigateur dans son rôle actuel. Jusqu’ici, cet acteur était jugé suffisamment important pour que des garanties lui soient demandées (comme une déclaration de liens d’intérêts) concernant ses compétences et sa probité. Sa mise en retrait va logiquement redéfinir les tâches et les responsabilités entre les acteurs de la recherche.

Des groupes par maladie sur Facebook, des plateformes d’échanges entre patients

Parmi les nouveaux outils, on peut citer les réseaux sociaux du type Facebook, d’autant qu’on y trouve de nombreux « groupes » dont les membres sont liées par l’intérêt pour une même maladie. Certains sont constitués à l’initiative de groupes pharmaceutiques. Il existe aussi des plateformes dédiées aux échanges entre patients sur le modèle du site américain Patients Like Me (en français, des patients comme moi) et des forums de discussion plus informels.

D’autres outils, qui existaient déjà avant le numérique, sont également très utilisés. Le contact direct avec les associations de patients, par exemple. Ou encore la publicité dans les médias, avec des campagnes du type : Si vous avez telle maladie, profitez de notre étude…

Dans un monde où la recherche est compétitive, l’accès aux patients est une étape critique pour la réussite d’un essai. Du côté des industriels, le fait de pouvoir mobiliser très vite un nombre important de patients conditionne l’obtention rapide des résultats. Ce gain de temps permet d’accélérer la mise sur le marché du médicament, et par conséquent d’allonger la période pendant laquelle il ne peut être concurrencé par la production d’un générique.

Dans des maladies peu fréquentes, l’enjeu est plus grand encore. De manière cynique, ou bien « efficace » si l’on adopte le point de vue de l’industriel, le fait de parvenir à confisquer cette ressource indispensable que sont les patients est le moyen, pour la firme, d’asphyxier ses concurrents.

Des études avec accès direct aux patients

Des projets de recherche clinique avec accès direct aux patients existent déjà à travers le monde, au moins aux États-Unis. Au cours d’un travail collaboratif entre l’Inserm et une équipe chilienne, Eugenia Lamas et ses collègues citent une recherche sur la sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Charcot, menée en 2009 avec des patients regroupés sur la plateforme Patients Like Me, laquelle a financé l’étude pour démontrer la validité de son modèle.

En France, Sanofi mène actuellement une étude, Télésage, pour valider son application sur smartphone pour le diabète, Diabeo. Sur Internet, un numéro vert s’affiche pour qui veut obtenir des informations sur l’étude.

Ainsi, les forces à l’origine de ce mouvement existent également en France et pourraient produire, selon nous, les mêmes effets. Notre sentiment est que cette transformation justifie une réflexion éthique à l’échelle de la société. Car si elle induit des avantages, notamment sociaux et économiques, elle comporte aussi des risques du même ordre.

Davantage de volontaires recrutés

Cet accès direct aux patients de la part des commanditaires de l’essai a l’avantage de faciliter le processus de recrutement, appelé l’inclusion. Le nombre de personnes acceptant de se prêter à la recherche peut donc être plus important, ce qui permet de détecter des effets plus faibles. Cet accès direct a aussi l’avantage de pouvoir inclure des patients qui seraient éloignés géographiquement des établissements de santé où se déroule l’essai, ou encore des patients qui ne les fréquentent pas ou rarement.

Une étude présentée au mois de mai à Boston (États-Unis), lors du congrès scientifique international ISPOR, a comparé l’efficacité de différents outils de recrutement des patients atteints de pathologies rares, certains numériques et d’autres pas. Les groupes Facebook ont été jugés les plus performants, quant au nombre de patients inclus.

Ainsi, c’est à l’étape de l’inclusion des patients que nous prévoyons des modifications majeures à l’avenir. Jusqu’ici, le canal unique utilisé pour joindre les personnes est le médecin investigateur, secondé par son équipe. Demain, on peut imaginer des canaux multiples (selon les règles légales des pays), comme la publicité dans les médias, des listes de patients fournies par des sites du type Patients Like Me, des associations de patients, des groupes sur Facebook. Les patients eux-mêmes peuvent faire des requêtes sur Internet et se trouver dirigés vers le site de l’industriel.

L’exigence d’une information honnête et fiable

Dès lors, il apparaît souhaitable de favoriser la capacité de discernement des citoyens face à ces informations. Les messages transitant par ces différents canaux devraient être systématiquement relus par les instances éthiques évaluant les protocoles dans la recherche clinique. L’exigence d’une information honnête et fiable est d’autant plus grande que ce type de recrutement peut s’adresser à des patients plus vulnérables vivant dans les pays à ressources limitées, mais dont les populations ont de plus en plus accès au monde connecté.

Dans un futur proche, la règle de la concurrence entre organisateurs des essais va vraisemblablement s’imposer et faire émerger le modèle du malade consommateur de recherche. L’indemnisation risque de laisser place à la rétribution des patients entrant dans le protocole, que celle-ci soit financière ou en nature (par exemple une tablette numérique, un abonnement à Internet).

Un indice « robuste » de l’importance économique de ces enjeux peut être trouvé dans le prix payé par un laboratoire spécialisé dans les tests diagnostiques et prédictifs, en 2017, pour l’acquisition de la société Chiltern : 1,2 milliard de dollars. Cette société est un intermédiaire spécialisé dans l’organisation des essais cliniques à travers le monde (en anglais, contract research organization ou CRO).

L’accès direct aux patients, dans la recherche biomédicale, permet d’obtenir plus rapidement des résultats plus fiables. Nous considérons qu’il ne faut pas manquer cette opportunité. Cette nouvelle organisation fait du patient un acteur encore plus décisionnaire de la recherche, ce qui est souhaitable. Le risque est l’effacement du médecin investigateur qui est sans doute, actuellement, un médiateur utile entre l’industrie pharmaceutique et les patients. Si l’on veut éviter l’émergence d’un système où le patient devient un « consommateur de recherche », il faut inventer de nouveaux garde-fous. Quelle société voudrait d’une instrumentalisation des personnes participant à la recherche biomédicale ?

(1) François Eisinger, Professeur associé en santé publique, PH au centre de lutte contre le cancer Institut Paoli-Calmettes, Inserm

(2) François Hirsch, Directeur de recherche, responsable de la mission éthique de l'Inserm, Inserm 

(3) Hervé Chneiweiss, Directeur de recherche du laboratoire Neurosciences, Président du comité d'éthique de l'Inserm. 

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

N. B. François Eisenger a reçu, au cours des trois dernières années, des financements des laboratoires pharmaceutiques Sanofi Aventis France, Roche SAS, MSD France et Celgene, pour sa participation à des congrès ou des réunions scientifiques. Il est salarié du Centre Régional de Lutte Contre le Cancer (financement essentiellement public) à Marseille.

Hervé Chneiweiss a reçu, au cours des trois dernières années, une rémunération du laboratoire pharmaceutique MSD France pour sa participation à une réunions scientifique.

François Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

Source:

The Conversation

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