Si l’hôpital va mal, c’est la faute à la T2A

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La tarification à l’activité (T2A) est souvent accusée d’avoir vendu l’âme de l’hôpital et de ceux qui y travaillent. `A tel point que certains voient en ce sigle maudit l’origine du malaise que connaissent actuellement les établissements publics. Sauf que si on y regarde de plus près, les choses sont un peu plus compliquées.

Si l’hôpital va mal, c’est la faute à la T2A

Qui, dans les colonnes de Libération, a reproché à la T2A d’avoir « fait croire à l’hôpital public qu’il devait se concentrer sur des activités rentables, qu’il devait se sentir une âme d’entreprise » ? Le Pr André Grimaldi, défenseur acharné du service public hospitalier ? Le Dr Christophe Prudhomme, urgentiste cégétiste invétéré ? Que nenni ! C’est la ministre de la Santé Agnès Buzyn, interviewée en décembre dernier par notre confrère Éric Favereau.

 

Il faut le reconnaître : même dans les hautes sphères administratives, la T2A n’a plus le vent en poupe. Ce mode de financement des hôpitaux introduit au début des années 2000 repose sur un principe simple : plus un hôpital prend en charge de patients, plus sa dotation est importante. Une bonne incitation à améliorer l’efficience, qui devrait plaire aux autorités. Or Emmanuel Macron avait dès sa campagne électorale promis de la plafonner à 50 % du budget des établissements, promesse que la Ministre tente aujourd’hui de mettre en musique.

 

Coupable idéal

 

Alors, que reproche-t-on à la T2A ? Pour le savoir, le mieux est encore de donner la parole au neurologue et député Olivier Véran, rapporteur général de la commission des Affaires sociales et auteur de deux gros rapports sur le sujet. « À l’origine, la T2A devait être uniquement une façon de répartir une enveloppe budgétaire, et elle est devenue un moyen de pilotage des unités de soins », regrette ce Grenoblois. « Les médecins ont ressenti une forme de pression pour se lancer dans une certaine course à l’acte. »

 

Et le pire, c’est que cette course à l’acte est truquée. « Il y a une inadéquation entre le budget théorique et le budget réel », explique Olivier Véran. En clair : si l’activité augmente trop, les autorités baissent les tarifs, et les services se retrouvent à travailler toujours plus sans que leurs moyens augmentent de manière proportionnelle. C’est plutôt rageant, et c’est loin d’être un facteur d’épanouissement et de bien-être au travail.

 

La T2A et ses complices

 

Malheureusement, la T2A n’est pas le seul suspect dans cette affaire, tant s’en faut. « J’en ai un peu marre d’entendre les manipulations à ce sujet », tonne Félix Faucon, qui a participé à la mise en place de la T2A au ministère de la Santé à la fin des années 2000, et qui enseigne aujourd’hui à Sciences Po. « Le vrai sujet ce n'est pas la T2A, c'est que depuis 2010, l'Ondam [Objectif national des dépenses d’assurance maladie, NDLR] est devenu impératif, et non indicatif. »

 

Selon ce haut fonctionnaire, c’est donc la contrainte budgétaire qui est responsable de la pression sur les hôpitaux, et non le financement à l’activité. Pour preuve, la situation dans les hôpitaux psychiatriques, financés selon le principe de la dotation globale et non selon celui de la T2A… sans que la situation y soit meilleure. « La psychiatrie concentre tous les maux de la dotation globale, avec notamment des allocations de ressources qui se font sur des bases historiques, et non sur des bases réelles », confirme Félix Faucon. C’est donc moins la manière dont les budgets sont alloués que leur montant global qui importe. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle. « Est-il possible, dans le cadre économique qui est le nôtre, d’augmenter l’Ondam ? », demande Félix Faucon. Or poser la question, c’est déjà y répondre… surtout dans un pays où le Gouvernement a fait de la baisse des dépenses publiques sa priorité numéro 1.

 

 

Témoignage 

S’il y a moins d’argent dans les hôpitaux, ce n’est pas à cause de la T2A

 

Marc Olivaux est maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Nîmes, où il étudie notamment la manière dont les hôpitaux s’adaptent aux différentes réformes dont ils font l’objet. La T2A est bien entendu au coeur de ses travaux.

 

What’s up Doc. La T2A est-elle la source des problèmes que connaît l’hôpital ?

 

Marc Olivaux. Beaucoup de débats se cristallisent autour de la question de la T2A, mais celle-ci est en réalité indissociable d’autres dispositifs qui participent tous d’une logique d’évolution des services publics fondée sur l’accroissement de l’activité. Aujourd’hui, s’il y a moins d’argent par patient dans les hôpitaux, ce n’est pas à cause de la T2A, mais parce que l’Ondam augmente moins vite que l’activité.

 

WUD. La T2A n’incite-t-elle tout de même pas à produire toujours plus ?

 

MO. Si, mais les tutelles mettent aussi en place d’autres indicateurs tout aussi importants, tels que la durée moyenne de séjour, le taux de rotation des lits… L’ensemble de ces mécanismes met les gens sous pression, et cela a des impacts dont, au cours de mes recherches, j’ai observé de nombreux exemples : des personnes âgées auxquelles on met trois protections pour ne pas avoir à les changer plusieurs fois par jour, des patients en moyen séjour qui n’ont que des draps en papier, des services de cardiologie qui n’ont, du fait d’un arrêt maladie, qu’un infirmier et un aide-soignant pour 10 patients, etc.

 

WUD. Le Gouvernement se trompe-t-il donc de cible en voulant réduire la part de la T2A dans les budgets hospitaliers ?

 

MO. En tant que chercheur, il ne m’appartient pas de juger l’action du Gouvernement. En revanche, les acteurs de l’hôpital conviennent qu’il faut maîtriser la dépense, qu’on a trouvé le moyen de le faire, mais qu’on en est arrivé à un stade où tout le monde, y compris des DG de CHU, dit qu’on ne peut plus faire d’économies sur la masse salariale et le matériel. Il y a encore quelques marges à trouver, mais il semble que malgré tous les changements de dispositifs de financement imaginables, tant qu’on n’augmentera pas les budgets hospitaliers, la situation s’aggravera.

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