« Je n’ai pas fait 6 ans de médecine en Roumanie pour rentrer en France dans une spécialité qui me plaît moins » : rencontre avec @louise.au.bloc, interne en chirurgie digestive

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Louise Tedeschi, alias @louise.au.bloc, est interne en chirurgie digestive en Roumanie. Actuellement en stage en France, elle a lancé son compte sur les réseaux sociaux pour partager sa passion pour la chirurgie et son parcours d’étude à l’étranger.

« Je n’ai pas fait 6 ans de médecine en Roumanie pour rentrer en France dans une spécialité qui me plaît moins » : rencontre avec @louise.au.bloc, interne en chirurgie digestive

 

What’s up Doc : Qu’est-ce qui vous a amené à étudier en Roumanie ?

 

Louise Tedeschi : Lorsque j'avais une dizaine d'années, j’ai regardé Grey’s Anatomy. Cette série m’a fait découvrir le métier de chirurgien. Cela a semé une graine qui n’a jamais cessé de germer. Au moment de mon stage de 3e, à 14 ans, j’ai intégré une clinique pendant une semaine, dans un service de cardiologie. J’ai pu aller au bloc opératoire et j'avais des étoiles plein les yeux ! Après le bac, j’ai tenté la PACES deux fois et j'ai échoué. C’était un très gros coup dur. Je voyais le métier de mes rêves me passer sous le nez. Je me suis donc renseignée sur différents pays d'Europe où je pouvais partir étudier. 

À l'époque, les filiales en Roumanie étaient peu connues et pas hyper démocratisées. C’est ma mère qui m’en a parlé. Au premier abord, cela me paraissait inconcevable de partir en Roumanie. Mais, elle a quand même insisté pour que nous allions visiter la ville, la fac, rencontrer des étudiants sur place, etc. En seulement quelques jours là-bas, ma vision a totalement changé : je voulais y étudier. Je suis donc partie en 2015. J’ai été prise en section francophone, tous les cours étaient dispensés en français. Mais, on suivait aussi des cours de roumain pendant trois ans pour pouvoir interagir avec les patients pendant les stages à l’hôpital.

 

Vous avez décidé de ne pas rentrer en France pour votre internat, pourquoi ce choix ?

 

L.T. : J’ai fait mes 6 années de fac à Cluj. Puis, s’est évidemment posée la question de savoir où réaliser mon internat. Je savais que je voulais me diriger vers une spécialité chirurgicale. En France, ce sont des domaines assez prisés. Il faut être très bien classé pour espérer les obtenir. Même si notre formation est très bonne en Roumanie, on ne nous forme pas au concours de l’internat. J’ai réalisé en discutant avec d’autres étudiants, que même avec des prépas privées en ligne, viser la première moitié du classement était presque impossible pour moi. Je me suis dit que je n’avais pas fait 6 ans de médecine en Roumanie pour rentrer en France mais dans une spécialité qui me plait moins. Comme les internes roumains peuvent partir faire des stages à l’étranger, je savais que je pourrais revenir en France quelques temps. C’est pour ces raisons que j’ai choisi de réaliser mon internat en Roumanie. Et c’est rare ! La plupart reviennent en France ou vont en Allemagne, en Suisse, en Espagne ou en Italie. 

Le système roumain ressemble à celui en France, c’est un concours classant qui permet ensuite de choisir sa spécialité. À l’issu de ce concours, j’ai pu choisir la chirurgie digestive. Aujourd'hui, je suis à ma 4e année d'internat sur 6. Actuellement, je suis en stage en France, à Lyon, depuis un peu moins d'un an. Au total, j’ai eu l’autorisation d’effectuer deux ans de mon internat ici. Lorsque j’aurais complétement fini mes études, je reviendrai en France. La Roumanie étant dans l’Union Européenne, c’est très simple : il suffit de s’inscrire à l’Ordre.

 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/faire-ses-etudes-de-medecine-en-roumanie-quand-revient-en-stage-en-france-nous-met-la

 

Comment avez-vous fait pour choisir votre spécialité parmi toutes celles existantes ?

 

L.T. : Je suis vraiment une amoureuse de la chirurgie. Ça a été difficile de choisir parmi les différentes spécialités chirurgicales. Ce qui me fascine, c’est soigner avec ses mains, et avoir un résultat immédiat avec un impact sur la pathologie des patients. 

Je me suis dirigée vers la chirurgie digestive parce que ça m'intéressait de travailler avec des organes internes. Et puis, c'est vrai que la chirurgie digestive est très vaste. Il y a beaucoup de pathologies, beaucoup d'organes et je ne voulais pas travailler avec un seul organe toute ma vie. Après, forcément, il faut se sur-spécialiser dans un domaine. 

 

Vous vous destiniez à la chirurgie depuis petite mais c’est un domaine très exigeant, y’a-t-il eu une désillusion entre le rêve et la réalité ?

 

L.T. : Je pense qu’avec les études de médecine en général (pas que la chirurgie), on ne peut pas se rendre compte de ce qui nous attend. C’est tellement long, ça demande tellement de travail, tellement de sacrifices, d'implication. C’est très dur. On s'occupe de gens malades, on a des vies entre nos mains, et ça on le réalise au fur et à mesure. Je pense que pour tout étudiant en médecine, peu importe la spécialité, il y a toujours une différence entre le rêve et la réalité. Mais, c’est aussi quelque chose qui nous fait grandir !

Je pense que les plus jeunes le savent, mais les études de médecine nous font douter constamment. Il y a des moments où on craque, où on pense qu’on ne va jamais y arriver. J'en suis à déjà 10 ans d'études, il m'en reste encore deux. J'ai l'impression que c'est sans fin. Quand je vois mes chefs opérer, je me demande si je vais réussir à atteindre ce niveau-là un jour. Dans mon cas, la chirurgie est une spécialité extrêmement exigeante. Il faut réussir à couper le cordon, prendre ses responsabilités, mais ça fait peur. Et c’est normal ! Pourtant, je ne m’imagine nulle part ailleurs. C’est ma place.

 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/ne-te-lance-pas-en-chirurgie-ce-nest-pas-un-metier-fait-pour-les-femmes

 

Vous vous êtes récemment lancée sur les réseaux sociaux, qu’est-ce qui vous a motivée ?

 

L.T. : J’ai commencé en février 2025. Au début je voyais passer des vidéos d'internes qui partageaient leur quotidien. Lors d’une de mes dernières gardes en Roumanie, j’ai filmé mes 24 heures pour montrer mon métier à ma famille et à mes amis. Ils ne sont pas du tout dans le domaine médical et même si je leur raconte, ce n’est pas forcément très concret. Finalement, ça m'a amusée de faire cette vidéo ! En Roumanie j'ai été présidente de la corporation étudiante francophone pour accompagner les nouveaux étudiants.

J'ai décidé de créer mon compte pour rassurer les plus jeunes, pour ceux qui sont en Roumanie, montrer que le retour en France en tant qu'interne se passe bien, ou que faire son internat là-bas est une bonne option. Mon compte se destine aussi à ceux qui ne connaissent pas particulièrement la chirurgie ou le bloc opératoire. Parmi mes abonnés, il y a des gens qui ne sont pas dans le domaine de la santé mais ça leur permet de voir à quoi ressemble un bloc. C’est un mot qui peut faire peur, la chirurgie. Je veux justement démystifier cela.

Plus généralement, aujourd'hui, les patients s'informent sur les réseaux sociaux. Ils ne vont même plus sur Google, ils vont sur TikTok. C’est pourquoi il est important que des médecins prennent la parole sur les réseaux sociaux et partagent de bonnes informations. 

 

Un conseil à donner à nos lecteurs encore étudiants ?

 

L.T. : Faites des stages ! Même si ce sont des stages d'observation d’une semaine ou deux, voir à quoi ressemble une spécialité de l’intérieur est primordial. Le choix de spécialité, c'est crucial. Ce serait dommage de passer à côté de quelque chose de super juste parce qu’on n’a pas été assez curieux.

7 commentaire(s)
Mathilde R Anesthésiste-réanimation 21 août 2025 19:09

C’est toujours la même excuse : “si on est mal classé, c’est parce qu’on ne nous prépare pas au concours, mais notre formation est excellente”. Le concours de l’internat  en France c'est un concours qui évalue l’ensemble des connaissances médicales ni plus ni moins, la méthodologie est secondaire quand on sait on sait, quand on ne sait pas on ne sait pas. En France non plus, il n’existe pas de préparation spécifique systématique, hormis quelques entraînements annuels, auxquels les étudiants Roumains pourraient aussi avoir accès. Il n’y a aucune honte à reconnaître les différences de niveau,  il est faux de prétendre que la formation est équivalente à celle dispensée en France. Les exigences, la densité des enseignements et le rythme n’ont tout simplement rien à voir, et c’est malheureusement ce constat d'écart de connaissance qui explique l’écart de résultats et non une quelconque "préparation". 

Bruno G Mathilde R Médecine d'urgence 21 août 2025 20:07

J'ai eu la possibilité de quitter l'hôpital public français il y 5 ans, après 30 ans d'exercice, pour exercer en hôpital public Suisse.

J' ai du coup l'opportunité de superviser des internes et des chefs de clinique venant des quatre coins du Monde car le système de santé suisse peinant à  recruter helvète,  il ouvre ses portes aux étrangers. 

Force est de constater que les jeunes médecins formés pour certains exclusivement à l'étranger,  dont la Roumanie, ont un niveau qui n'a rien à envier aux français. Le concours de l'internat sélectionne de façon théorique ,  alors que la véritable formation qui fera un bon praticien est basée sur l'expérience,  le compagnonnage et surtout la motivation du candidat. Quelle est le niveau de motivation quand on choisit par "non premier choix" son futur exercice pour les 40 ans à venir? (Ce qui est le cas d'un grand nombre de futurs internes)

  J'avais fait le même constat en 1996 lorsque j'étais allé faire  3 années d'anesthesie Réanimation au Royaume-Uni,  où j'avais découvert une qualité de formation des jeunes médecins dans cette spécialité que je ne connaissais pas en France. 

Il est toujours un peu hasardeux de dire que le système français est meilleur que tel ou tel autre système, et quand on a l'opportunité d'aller travailler dans d'autres pays, l'impression est malheureusement  parfois contraire. 

David V Chirurgie orthopédique et traumatologique 21 août 2025 23:40

La motivation se mesure également au travail qui est fourni pour arriver à ses fins, c'est à dire, être Medecin et avoir si possible, la spécialité de son choix à l'internat.

Je ne pense pas que quelqu'un qui choisit de fuir les concours (ce qui n'est pas le cas de cette chirurgienne digestive car elle a passé 2 fois la P1) en allant en Roumanie soit un modèle de motivation. Il choisit la facilité et malheureusement pour lui, rien n'est facile en médecine.

L'expérience est extrêmement importante en médecine. Je vous rejoins sur ce point mais il ne faut pas la placer au dessus des connaissances théoriques.

En effet, les étudiants roumains n'ont pas le monopole de l'expérience. Si les étudiants français en manquent selon vous (ce qui n'est pas mon avis), ils finiront par l'acquérir. On ne peut pas rester inexpérimenté, par définition.

En revanche, là où l'expérience présente ses limites (cas difficiles, jamais vu, etc...) ; la théorie prend le relais et c'est ce qui fait la différence entre une médecin moyen et un bon médecin.

Et nous le savons tous: ce que l'on n'apprend pas au cours de l'externat et de l'internat ; il est très difficile de l'apprendre par la suite (contrairement à l'expérience).

Le fait qu'il soit impossible pour un médecin de formation roumaine de finir dans la première moitié du classement des ECN est à mon sens,  inquiétant pour l'avenir de la médecine, surtout si ils viennent en grand nombre pour nous soigner.

Aucun système de formation n'est parfait. Mais il est impossible de dire que les étudiants français n'ont pas des connaissances trés solides. 

En chirurgie, nous savons très bien que le plus difficile n'est pas d'effectuer le geste technique. C'est de savoir pourquoi et quand le faire.

Cordialement

Houda A Bruno G Médecine générale 22 août 2025 08:16

Ne comparer quand même pas le niveau de la médecine au royaume uni au niveau de la Roumanie ou de n’importe quel pays de l’Europe de l’Est . Ça s’est amélioré par rapport à leur niveau avant leur entrée dans l’union( je connais des « médecins «  qui ont acheté leur diplôme, et d’ailleurs je me souviens d’un chef de service à Paris ( je ne me souviens pas de son nom) qui a refusé d’avoir dans son service des médecins de ces pays la . C’est peut être un peu mieux maintenant mais si on paye on a Tout . Désolé d’avoir été honnête et dit ma pensee

Houda A Mathilde R Médecine générale 22 août 2025 08:36

Tout à fait d’accord avec vous , malheureusement il y a de moins en moins de médecins et d’internes en France , les conditions et les salaires devraient être revus par l’état sinon on sera obligé dans quelques années d’etres traités par les médecins venant des ex- pays de l’Est 😡

Bruno G Houda A Médecine d'urgence 22 août 2025 20:11

Dans l'hôpital où j'ai exercé en France dans le sud Alsace (pres de 1500 lits de MCO), anesthésistes, reanimateurs médicaux, chirurgien cardio thoracique,  chirurgien visceraux, cardiologues, pneumo et radiologues étaient et sont toujours roumains et PH et forts compétents. J'ai découvert ces praticiens en arrivant dans l'est car dans le sud de la France ou j'avais fait ma formation, aucun roumain ne travaillait à l'hôpital. 

Didier G Chirurgie orthopédique et traumatologique 23 août 2025 08:58

Compte tenu des exigences imposées en France dans notre parcours de formation pour pouvoir pratiquer la chirurgie (je suis un "ancien" -> 5 ans d'internat en chirurgie à l'époque où il n'y avait pas de journée de repos après une garde, système très bien mais qui réduit encore la durée de formation puis 2 ans de chef de clinique et 1 an de PH). Nous aimerions tous connaitre le niveau de formation et de compétence de nos collègues qui avaient été "recalés" aux épreuves des facultés françaises mais qui sont devenus chirurgiens malgré tout, qu'ils proviennent de Roumanie ou d'autres pays. Moi aussi j'exerce dans la région Grand Est et il y a des structures remplies de médecins aux formations "ombrageuses" dans lesquelles il vaut mieux éviter des prises en charge médicales ou chirurgicales parfois atypiques. Mon témoignage n'est que le reflet d'un long vécu professionnel .... Cordialement

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