Pr François Gouin : « En mer comme au bloc, on est seul à tenir la barre, ou le bistouri »

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Jeudi 4 avril, à 11h09, après 158 jours et 44 minutes en mer, Pr François Gouin a franchi la ligne d’arrivée du Global Solo Challenge. Le chirurgien ortho oncologue, venait de réaliser un exploit, un tour du monde en solitaire, sans arrêt, via les trois grands caps, porté par l’amour de la mer bien sûr, mais aussi pour attirer l’attention sur l’importance de l’activité physique adaptée (APA) dans la prévention du cancer et la récupération après traitement : un partenariat avec Unicancer, soutenu par la Sofcot (dont il sera l’invité d’honneur en Novembre sur #SOFCOT24). Rencontre avec un champion à la barre comme au bloc

Pr François Gouin : « En mer comme au bloc, on est seul à tenir la barre, ou le bistouri »

Pr François Gouin.

© DR.

Sofcot


What's up Doc : Comment se prépare un tel projet ?

François Gouin : Ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel du jour au lendemain. C’est ancré en moi depuis que je suis adolescent. Mes héros de jeunesse, ce sont les grands navigateurs !
Au fil du temps, cette passion a pris une autre dimension, et j’ai débuté les régates. 
Quand j’étais interne, les voix de la raison et des études m’avaient écarté d’un projet de tour du monde. Pour autant, ma passion ne s’est jamais envolée, et l’idée d’un tour du monde à la voile ne m’a jamais quitté. Au lancement du Global Solo Challenge (GSC), il y a 3 ans, c’était pour moi, le moment ou jamais de me lancer.

Vous avez donc dû mettre en pause votre exercice médical, comment anticipe-t-on cela financièrement ?

FG. Entre ma candidature et le début de la course, il s’est écoulé 2 ans et demi, pendant lesquels j’ai cumulé des congés. J’ai aussi atteint l’âge permettant un aménagement de temps de travail, et libérer du temps pour la course et sa préparation. Je suis en fin de carrière, c’est le moment opportun. Je n’aurais sans doute pas pu me permettre cela il y a 20 ans.

 « La première difficulté, qui est commune à tous les grands navigateurs, c’est déjà d’arriver jusqu’à la ligne de départ ! »

Vous êtes chirurgien oncologue, le partenariat avec Unicancer était donc tout trouvé 

FG. Effectivement, on a monté ce projet avec Unicancer, avec pour objectif de sensibiliser aux bienfaits de l’activité physique adaptée dans la lutte contre le cancer. Une thématique dont on parle de plus en plus et qui est au moins aussi importante que l’alimentation.
C’est autour de ce projet que l’on a réuni des sponsors pour le financement. Nos choix étaient soumis à deux conditions. La première, c’était que l’on connaisse personnellement les acteurs. Ensuite, il fallait que les candidats soient sensibles au projet, que ce soit par leur passion de la voile, ou par un lien avec la maladie.

Et concrètement, comment s’est déroulée cette course ? 

FG. La première difficulté, qui est commune à tous les grands navigateurs, c’est déjà d’arriver jusqu’à la ligne de départ ! Il faut réussir à boucler son budget, sa disponibilité et la préparation du bateau, ce qui n’est pas une mince affaire.
Et pendant la course, les plus grosses difficultés sont évidemment d’ordre technique. Le fléau, ce sont les avaries qui peuvent obliger à s’arrêter. J’ai eu plusieurs gros problèmes, que ce soit au niveau de l’inondation du moteur, ou de la fixation de la voile sur le mât…  Beaucoup d’imprévus qui forcent parfois à s’arrêter et qui ont failli me contraindre à abandonner.
La dimension mentale est également importante dans une épreuve sur plusieurs mois comme la GSC. La remontée de l’atlantique après le passage du Cap Horn, a été la plus difficile du fait d’une météo peu favorable et la nécessité d’aller puiser dans mes ressources pour ne pas se laisser entrainer dans une spirale négative. 

« Gérer les complications, c’est un exercice commun à la navigation et à la chirurgie ! C’est également le thème du congrès de la Sofcot de cette année, où je viendrai partager mon expérience, donc tout est lié ! »

Des imprévus qui rappellent l’exercice de la chirurgie ?

FG. Gérer les complications, c’est effectivement un exercice commun à la navigation et à la chirurgie ! C’est également le thème du congrès de la Sofcot de cette année, où je viendrai partager mon expérience, donc tout est lié !
Il y a effectivement beaucoup de liens entre ces deux mondes. Déjà, dans la réalisation des actes chirurgicaux, la préparation est aussi importante que dans une manœuvre de navigation : anticipation, évaluation des risques, prévoir des plans B. Les deux exercices nécessitent aussi un engagement mental particulier.
Et en pratique, en mer on est seul, mais tout de même entouré d’une équipe à terre que l’on peut consulter à n’importe quel moment… un peu comme au bloc avec une équipe opératoire. On est simplement seul à tenir la barre, ou le bistouri. 

D’ailleurs, vous n’avez pas eu le mal du bloc ?

FG. Sur un total de cinq mois en mer, je suis resté absolument coupé du monde social pendant trois mois. Je n’avais aucun lien avec l’actualité, la politique... ni avec le monde professionnel. Ca m’a fait du bien de faire cette pause !
Ensuite sur les derniers mois je me suis ré-ouvert vers le monde. On avait mis en place une routine de visio hebdomadaire avec des collègues de la Sofcot, de manière informelle. Mais on parlait de tout, sauf du bloc !
Depuis mon retour, je suis sollicité pour pleins de choses, des réunions... ça repart très vite !

 « Je pense que cette traversée va me donner encore plus de force et d’aplomb pour affronter les complications, qui sont communes dans mon métier »

Un mot sur le fond, la promotion de l’activité physique adaptée ? 

FG. Il faut que les gens sachent que c’est bénéfique ! Ne pas rester plus d’une heure sur sa chaise sans bouger, prendre les escaliers plutôt que l'ascenseur, marcher plutôt que prendre le bus lorsque c’est possible… 
Il est démontré que l’activité physique adaptée est absolument bénéfique en termes de taux de rechute et d’incidence sur certains cancers comme ceux du sein, de l’intestin, les maladies hématologiques malignes…
Celle-ci permettrait également d’avoir une meilleure tolérance aux traitements. Même si les mécanismes intrinsèques de ce bénéfice sont mal connus actuellement, le bien-être que peut apporter l’activité physique peut moduler les défenses immunitaires. 

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Comment accueillez-vous cette entrée dans ce club fermé de navigateurs ayant réussi une telle prouesse ? 

FG. C’est encore un peu tôt, je n’ai pas encore assez de recul. Ce qui me vient naturellement, c’est la fierté d’avoir réussi à gérer des difficultés, les ennuis récurrents et d’avoir maintenu mon objectif.
Je pense que cette traversée va me donner encore plus de force et d’aplomb pour affronter les complications, qui sont communes dans mon métier. Comme je l’ai dit, que ce soit en chirurgie oncologique ou en navigation, lorsque l’on commence à avoir des difficultés, on peut vite se retrouver dans une spirale négative. Je suis sûr que l’expérience de l’océan continuera de m’aider sur la terre ferme. 

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